Retour sur investissement

La jeune agence BIP est invitée pour une première prestation. L’occasion n’est pas des moindres, le prestigieux festival rennais les Trans Musicales, dont la réputation n’est plus à faire, entend inaugurer un « projet d’art visuel » pour sa nouvelle édition.
Si l’occasion fait le larron, le lieu imposé est quant à lui des plus singuliers. En effet, dans le Hall 4 un luxueux igloo gonflable aux allures de salle capitonnée est élu nombril du projet. La contrainte est « positive » quand l’art s’en mêle, dit-on.
Mais ses limites apparaissent dès l’ouverture du Village des Trans : les torts sont à tour de rôles partagés, riches en enseignements, drolatiques, navrants, évidents, ce topo puisse-t-il en faire état.

Réussir à animer un igloo, froid par définition, enclavé par nécessité technique, est un enjeu de taille. L’afflux de milliers de visiteurs en son sein, son aménagement, son volume, son absence de cloisons et l’obligation d’y laisser un matériel de projection onéreux (pour les diaporamas) sont des facteurs problématiques dont il faut tirer parti.
Que nenni, des splendides cubes manipulables (mobilier recouvert de photographies géantes à recomposer) permettent au visiteur de s’attabler tranquillement pour visionner les polaroïds qui viennent remplir au fur et à mesure les parois du dispositif. Projeté le Rainbowrama comble les visiteurs.

Mais l’idée généreuse d’une installation interactive se heurte rapidement à des soucis techniques ingérables, résistance insuffisante des modules aux manipulations sur une moquette bien trop rèche, prime refus pour les vigiles de veiller sur un dispositif qu’ils estiment ne pas être à sa place... mais encore, au problème de la foule et de son indiscipline.

L’aspect « galerie insolite » de cet espace confiné, se révèle incompatible avec le public du soir. Les noctambules fêtards peu attentifs, viennent au Trans pour jouir en musique avant tout. Dans ce cadre, l’igloo glisse de cet assemblage ludique de cubes glacés et argentiques vers le chill-out - spot de relax - tout au plus une pause tripante de déconne pour tout un chacun. Au terme des soirées, les polaroïds exposés disparaissent, l’installation se détériorre tandis que le public s’approprie la capsule new-age Rainbowrama, l’igloo implose, médiatrices et vigiles sont débordés.


Ironie du sort, c’est cette même ébriété - et la boulimie contagieuse qu’elle engendre - qui condamnera
en toute fin de festival l’immaculé prototype à néant, la demi-sphère lacérée libèrant ainsi le BIP de sa glaciation imagée.

Pendant ce temps, trois binômes de photographes arpentent le site, mais encore, le « off », la « contre », le centre-ville et ses manifs,et recueillent les aléas d’une fête à rebond, avec ses paillettes de faciès, ses restes et ses laissés-pour- compte, ses déjections de fond de cour.
La photographie est à vif, se construit à la parlote, pêle-mêle de points de vue innombrables et innommables, elle tisse la toile d’un reportage sans rebus. Elle en dit long sur les objectifs impulsés par le Bip. Anonyme et collective, elle se jette en pâture comme le polaroïd qui la révèle, elle est bruyante et non spectaculaire, loin de l’exploit photogénique de gros calibre, une image négociée à coup de flash et à coup de chapeau pour un outil d’une proximité sans fard.
Ainsi la proposition prend elle toute son envergure sur le terrain, dans sa faculté d’être partout et nulle part, d’induire des rencontres autour d’instants polaroïds pour rendre compte au sens large d’un événement.

Si l’igloo, comme espace d’exposition, fut une sorte de fiasco anticipé, il ne constituait à notre sens qu’une mise en bouche, le marathon-polaroïd étant le plat de résistance du projet, de ce fait sa légitimité ne s’en trouva que faiblement affectée.
L’idée fausse aurait été de croire qu’ici même l’imposition d’un point d’ancrage favoriserait l’intérêt et la rencontre, alors qu’il apparaît manifeste que la vivacité du projet s’opérait dans l’immédiateté de la prise photographique, non pas au moment de sa projection.
Si on eut pu imaginer troquer l’espace prétexte de l’igloo contre des espaces de vidéo-projection éparses et aériens - ceci étant plus au fait avec l’idée d’un reportage à l’œuvre, nomade et évolutif - le fait de réaliser des polaroïds dans le seul but d’ensuite les projeter en numérique aurait constitué, outre un comble de la technologie, une prouesse de réthorique administrative : il est évident que sans la scénographie sous igloo ce projet n’aurait certainement pas été choisi par les Trans Musicales, puisqu’il s’agissait aussi pour elles de faire image.

Alors le contrat est rempli et si le bilan semble n’avoir ni queue ni tête, c’est qu’il se révèle aussi surprenant et familier qu’un morceau de ce groupe mixedmédia des années 90, fondateur du prolifique label Ninja Tunes, qui faisait son retour sur scène cette année aux Trans, le bien nommé Coldcut. Quel talent !


Photographies
Antoine Chaudet, Richard Louvet, Damien Mousseau,
Emilie Traverse, Mathieu Tremblin, Philémon

Annaïg Rocheron
Texte
Mathieu Tremblin, Philémon